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« Le soignant à l’hôpital en 2050 », une utopie créative devenue projet


Rédigé par Joëlle Hayek le Mercredi 8 Octobre 2025 à 10:41 | Lu 40 fois


En juillet 2024, l’IFSI-IFAS Tenon lançait une aventure unique en France : le projet de design fiction « Le soignant à l’hôpital en 2050 ». Portée avec l’hôpital Tenon (AP-HP), cette initiative, à la croisée de la prospective et de l’expérimentation, s’est rapidement imposée comme une bouffée d’air neuf dans un univers hospitalier en quête de sens. Chez Hospitalia, nous suivons sa trajectoire avec enthousiasme jusqu’à son terme en 2027, convaincus que cette « utopie réaliste » mérite toute notre attention.



« Deux options s’offrent à nous : subir les enjeux, ou entrer dans l’action pour réfléchir à un avenir désirable », rappelait Nacéra Benchérif, directrice de l’IFSI-IFAS Tenon et cheffe de projet, lors du lancement officiel à l’été 2024. Une vision qui donne le ton. À l’heure où les métiers du soin affrontent des crises multiples – attractivité, conditions de travail, transitions numériques et écologiques, nouvelles attentes des patients –, cette démarche unique propose de rompre avec la logique de l’urgence pour « faire un pas de côté et imaginer un futur souhaitable ». Le design fiction, méthode choisie, n’est pas qu’un exercice créatif. Comme l’avait souligné Matthieu Robert, designer en santé à l’AP-HP et membre du comité de pilotage, il s’agit de « s’affranchir des contraintes immédiates pour explorer des scénarios possibles, puis revenir au présent afin d’esquisser des chemins vers demain »

Concrètement, le projet réunit des étudiants en soins infirmiers, des infirmiers tuteurs et des patients partenaires autour d’un même objectif : co-construire une vision du métier de soignant à l’hôpital en 2050. Jusqu’en 2027, ils exploreront les compétences de demain, les relations soignant-soigné, les environnements de travail et les nouvelles interfaces technologiques. L’interprofessionnalité en est le moteur. « L’entre-soi est agréable, mais il faut oxygéner le regard », avait insisté Nacéra Benchérif. En réintroduisant le rêve et la créativité dans un hôpital trop souvent accablé par le poids du quotidien, cette initiative unique agit comme une étincelle d’optimisme, ouvrant un espace où l’avenir cesse d’inquiéter pour devenir un terrain d’exploration. 

Trois ateliers pour penser demain

En octobre 2024, les « apprentis designers » ont inauguré le cycle par une visite du Musée de l’Homme. « Pour se projeter dans l’avenir, il faut d’abord comprendre le passé », avait noté Nacéra Benchérif. De retour à l’IFSI, les étudiants se sont interrogés sur la place de l’humain à l’ère des technologies. Ils ont laissé émerger envies et intuitions, avant de créer, par collages, des affiches symbolisant leurs visions. « Les mutations sont déjà là. Nous devons être proactifs pour ne pas subir », notait un groupe. Un autre complétait : « L’évolution est une constante, dans l’histoire de l’humanité. Tant que l’on ne perd pas ce qui fait notre essence – l’écoute, l’empathie, la solidarité, les liens humains –, elle peut être une chance ». 

En février 2025, cap sur l’École Polytechnique de Saint-Cyr pour une conférence dédiée à l’intelligence artificielle et à la santé. Les participants ont ensuite conçu, grâce à l’IA générative, des posters autour de thèmes comme l’organisation du travail, les compétences de demain ou l’éthique des relations humaines. Beaucoup ont imaginé des outils destinés à accélérer les gestes techniques, libérant du temps pour l’accompagnement relationnel. « Plus le soignant aura d’outils performants, plus il pourra être disponible pour l’humain. Aujourd’hui, nous travaillons presque à la chaîne », constatait une étudiante.

En mai, le troisième atelier accueillait Delphine Mutot, chargée de mission Patients Partenaires au groupe hospitalier Sorbonne Université (AP-HP). Elle a rappelé que « si l’on parle beaucoup du patient partenaire, on évoque rarement le soignant partenaire. Or cette relation fonctionne dans les deux sens ». Les étudiants se sont ensuite prêtés à un atelier d’écriture : chaque récit de soin, imaginé du point de vue du soignant, a été transposé par l’IA du point de vue du patient. Ce renversement a donné à entendre la voix intérieure des malades, et nourri une réflexion sur l’expérience de soin en 2050. De la question « qu’est-ce qu’être humain ? » à celle de « qu’est-ce qu’être soignant ? », cette première année a tracé une trajectoire formatrice. Elle a permis aux étudiants de poser les bases d’une identité professionnelle en construction. « Une véritable charpente pour devenir les soignants que vous souhaitez être demain », avait souri Nacéra Benchérif.

« Réfléchir à notre capacité d’agir »

En juillet, une grande restitution s’est tenue à l’IFSI. Les participants ont découvert le travail d’Anne Grinfeld, qui accompagne le projet sur trois ans pour en « garder la mémoire ». Son récit, sensible et cadencé, plonge dans l’ambiance des ateliers par un narrateur inattendu : les murs mêmes de l’IFSI. Un parti pris audacieux, mais d’une justesse étonnante. Les ateliers du deuxième cycle reprendront pour leur part à l’automne. Tous les « apprentis designers » ne poursuivront pas l’aventure, certains ayant terminé leur cursus. Mais tous repartent enrichis. « J’ai pu exprimer des idées que je n’osais pas partager », confie l’une. « Ce fut une occasion de réfléchir à la manière d’améliorer les choses », ajoute une autre. D’autres témoignages insistent sur « la richesse de la confrontation » ou encore la conviction que « plus la technologie prendra de la place, plus l’écoute et le toucher seront des qualités essentielles ». Plusieurs retiennent aussi l’élan donné par la démarche : « J’ai pu rêver, et envisager l’avenir de façon optimiste, alors que d’ordinaire cette projection m’inquiète ». En conclusion, Nacéra Benchérif résumait l’esprit du projet : « C’est un espace intermédiaire, une fenêtre d’utopie pour réapprendre à rêver. Son ambition est modeste et immense car, s’il est facile d’imaginer des dystopies, il est autrement plus exigeant d’affirmer que l’avenir peut être désirable. Ce futur se construit dès aujourd’hui, avec les soignants de demain. Nous leur offrons l’occasion de libérer l’imaginaire, d’explorer tous les possibles pour réfléchir à notre capacité d’agir »

> Article paru dans Hospitalia #70, édition de septembre 2025, à lire ici 
 






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